Courrier

Lettre au Théâtre du Merlan (1)


Cour­rier
!! Lettre au Théâtre du Mer­lan I – 02/06

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Bon­jour à l’équipe du théâtre du Mer­lan,

Je vou­drais vous faire par­ta­ger mes réflexions sur Love Zoo, que j’ai vu same­di 11 février en com­pa­gnie d’une amie. Ayant com­pris depuis peu que l’approche scé­nique et cho­ré­gra­phique de Ruckert était sujette à polé­mique, je vou­drais dire mes impres­sions et ce que j’ai com­pris de Love Zoo.

J’anime un ate­lier de danse à Lam­besc qui est en train de déve­lop­per le concept de Danse forum, en s’inspirant de celui de Théâtre forum mis en oeuvre par Augus­to Boal. Fran­chir le qua­trième mur, cela me parle et c’est la rai­son pour laquelle je me suis ren­due à ce spec­tacle. Faci­li­ter le pas­sage de la salle à la scène, remettre l’art de la danse en ques­tion, la posi­tion de l’artiste et celle du spec­ta­teur, tout cela me pas­sionne. Avec mes amis, nous avons ouvert un site et créé une liste de dis­cus­sion :

Liste « Danse Forum » :
http://​fr​.groups​.yahoo​.com/​g​r​o​u​p​/​l​a​d​a​n​s​e​f​o​r​um/

Site web : http://​dan​se​fo​rum​.info

Il don­ne­ra les infos au fur et à mesure.

Nous n’en sommes qu’aux bal­bu­tie­ments, mais cela vous don­ne­ra une idée de la direc­tion de nos recherches.

Love Zoo m’a don­né l’occasion de voir les tenants et les abou­tis­sants de la démarche par­ti­ci­pa­tive, par rap­port à la démarche coopé­ra­tive que nous favo­ri­sons dans les ate­liers du same­di à Lam­besc. Pau­lo Freire, dont s’est ins­pi­ré Augus­to Boal, est un des pre­miers à ma connais­sance à avoir mis en pra­tique les dif­fé­rences fon­da­men­tales entre ces deux approches : participation/coopération : http://​vcda​.ws/​d​o​c​s​/​P​a​r​t​i​c​i​p​a​t​i​o​n​C​o​o​p​e​r​a​t​i​o​n​.​pdf

La par­ti­ci­pa­tion, on la voit à l’œuvre dans la pul­part des ONG avec leur poli­tique déve­lop­pe­men­tale, dans des asso­cia­tions, lors de pro­jets sociaux, et main­te­nant en danse.

La par­ti­ci­pa­tion est une forme d’interaction où le concer­né est invi­té à par­ti­ci­per à un pro­jet, mis en place et éva­lué par d’autres (les experts/décideurs/financeurs).

Centre de l’attention qui lui est (enfin) por­tée, le par­ti­ci­pant, pro­pul­sé dans sa nou­velle fonc­tion, se ver­rait vite taxé d’ingratitude si ce à quoi il par­ti­cipe n’était pas de son goût. Aus­si, la plu­part du temps, il se tait, pris entre le désir que les choses changent pour lui et une action qui peut ne pas cor­res­pondre à ses besoins ni à ses connais­sances du pro­blème. Il est coin­cé entre la bonne volon­té qui s’affiche autour de lui et le manque d’intérêt pour l’analyse et les solu­tions qu’il aurait pu pro­po­ser. On pense à sa place, et il devrait en être heu­reux. Dans un but d’efficacité, on brûle les étapes, avec au final un gachis énorme, cer­tains pro­jets rui­nant le peu qui res­tait en place. C’est ensuite aux par­ti­ci­pants de répa­rer les pots cas­sés, les déci­deurs ayant fini leur contrat.

L’énorme désa­van­tage du pro­jet par­ti­ci­pa­tif, c’est que le par­ti­ci­pant est dépen­dant du déci­deur. Si le déci­deur n’abuse pas de son pou­voir, le pro­ta­go­niste peut s’y retrou­ver : il a fran­chi des bar­rières, envi­sa­gé les pro­blèmes sous un autre angle, il a appris quelque chose et fabri­qué des outils qui éven­tuel­le­ment plus tard pour­ront l’aider dans sa vie.

Dans le cas contraire, si le déci­deur s’est levé du pied gauche, s’il est un tan­ti­net dic­ta­to­rial, s’il use de per­ver­sion, le par­ti­ci­pant est pris comme une lan­gouste dans un filet.

Dans tous les cas, le pro­ta­go­niste s’est vu dépouillé de sa capa­ci­té déci­sion­nelle et de son pou­voir d’analyse face aux pro­blèmes qu’il ren­contre comme face aux solu­tions qu’il a adop­tées.

A cette soi­rée de Love zoo, pas un seul dan­seur, spec­ta­teur ou par­ti­ci­pant n’est par­ti de la salle, pas même moi. Pour­tant nous avons vu des par­ti­ci­pants, (tous invi­tés à fer­mer les yeux tout au long du spec­tacle), se faire pelo­ter et par­fois subir des com­por­te­ments sado-maso­chistes, le tout le plus sérieu­se­ment du monde, sur un tapis de danse, sous les pro­jos et avec une musique accom­pa­gnante…

Les par­ti­ci­pants étaient gui­dés par les dan­seurs en semi-impro­vi­sa­tion (les grandes lignes choér­gra­phiques étaient ren­dues visibles), il leur était recom­man­dé (sur la pla­quette d’annonce) de se lais­ser faire, de se lais­ser aller dans les mains du dan­seur-guide, de faire confiance, pour décou­vrir les sen­sa­tions et répondre au désir d’amour, fil d’Ariane de la pièce…

Pour cer­tains, cela se pas­sait assez bien car les dan­seurs-guides n’abusaient pas de leur posi­tion, mais beau­coup d’autres sem­blaient trou­blés, silen­cieux, ten­dus avec un sou­rire cris­pé, même s’ils jouaient le jeu d’otage volon­taire. Mon amie me fai­sait remar­quer com­bien la joie était absente ici. Une seule par­ti­ci­pante m’a parue être vrai­ment épa­nouie dans cette pro­po­si­tion. Ce qui la dif­fé­ren­ciait des autres, c’est qu’elle était « acteur » de ce qu’elle fai­sait. Elle dia­lo­guait ges­tuel­le­ment avec son ou ses guides, les gui­dait sou­vent elle-même, et ne se lais­sait nul­le­ment mani­pu­ler, ni phy­si­que­ment ni men­ta­le­ment. Elle prouve à elle seule que l’exercice était pos­sible dans le res­pect mutuel, gar­dant les rênnes, et elle a pu vrai­ment se « lâcher ». Alors que, com­pa­ra­ti­ve­ment, les autres gar­daient visible une appré­hen­sion. Une per­sonne sur la quin­zaine de par­ti­ci­pants, cela fait peu.

Les spec­ta­teurs, dan­seurs et par­ti­ci­pants ont applau­di bruyam­ment à la fin du spec­tacle. Nous n’étions que deux, mon amie et moi, à ne pas applau­dir.

Le but sup­po­sé, je pou­vais le déco­der : aller au delà des limites cas­tra­trices, des tabous du tou­cher, pour gagner en confiance, en soi et en l’autre. A tra­vers l’exercice de base de la « sculp­ture vivante », où le sculp­teur révèle à sa sculp­ture tout son poten­tiel sen­so­riel et ges­tuel, explo­rer les fron­tières entre le per­mis et l’interdit, entre res­pect et per­mis­si­vi­té, dia­logue et domi­na­tion, guide et poten­tat, tout cela aurait pu être inté­res­sant. J’espérais que les rôles se ren­ver­se­raient à un moment, le guide deve­nant gui­dé. Effec­ti­ve­ment, vers la fin, les rôles ont été auto­ri­sés à s’interchanger : une par­ti­ci­pante s’est d’ailleurs bien ven­gée, don­nant des claques de plus en plus fortes sur le corps de son partenaire/danseur, au point de le faire crier de dou­leur plu­sieurs fois.

Il a été annon­cé ensuite que nous pou­vions res­ter pour ren­con­trer les dan­seurs et le cho­ré­graphe. J’ai espé­ré un moment que nous allions nous réunir pour par­ler de la façon dont cha­cun avait vécu et vu cette « expé­rience ». Mais non, il sem­blait aller de soi qu’il n’y avait pas de pro­blème.

J’ai deman­dé à une des dan­seuses de la troupe, celle que j’avais le plus appré­ciée car elle était réel­le­ment dans le res­pect de ses par­te­naires, si elle per­ce­vait cette pos­sible dimen­sion du viol consen­ti, vécu et expo­sé. Elle m’a dit que les mou­ve­ments pou­vaient faire sur­gir des images men­tales vio­lentes, et que le but de l’exercice était jus­te­ment de « bri­ser les tabous, mais avec res­pect ». Elle a ajou­té que les par­ti­ci­pants étaient libres d’interrompre l’exercice quand ils le sou­hai­taient, qu’ils n’avaient pas de ban­deau sur les yeux et qu’ils pou­vaient donc les ouvrir sur le champ.

Cette liber­té, elle est de prin­cipe. En réa­li­té, les par­ti­ci­pants étaient mis en condi­tion pour accep­ter l’inacceptable. Ils ne savaient jamais ce qui allait se passer,ils ne connais­saient pas les consignes don­nées aux dan­seurs, ils décou­vraient les règles du jeu au fur et à mesure, et ce devant des spec­ta­teurs, dans un contexte artis­tique garant d’une cer­taine éthique. Leur méfiance n’avait aucun espace pour se mani­fes­ter.

Celle des spec­ta­teurs non plus. Ils pre­naient moins de risques, sauf celui d’être voyeurs et d’y prendre du plai­sir.

Une cho­ré­gra­phie pour­rait être beau­coup plus sug­ges­tive, sen­suelle et vio­lente sans poser de pro­blème à qui que ce soit. Le cho­ré­graphe pro­pose tel mou­ve­ment, le dan­seur peut refu­ser. Ils se connaissent. Si le dan­seur accepte, il est sur scène acteur de sa danse, même s’il joue le vio­len­té. Dans Love Zoo, le pou­voir d’action était dans les mains du danseur/guide, et le par­ti­ci­pant une marion­nette mani­pu­lée, sur scène mais aus­si en réa­li­té.

C’est pré­ci­sé­ment à ce point que se trouve la mani­pu­la­tion : uti­li­ser la repré­sen­ta­ti­vi­té de la scène pour auto­ri­ser ? pro­vo­quer ? voyeu­risme et exhi­bi­tion­nisme.

Je n’ai pas inter­viewé de par­ti­ci­pants, je le regrette. Mais je sais que pour avoir une idée fiable, il fau­drait les inter­vie­wer de nou­veau après un mois ? un an ? dix ans ? pour que leur témoi­gnage reflète vrai­ment ce qu’ils ont res­sen­ti à ce moment. On doit sou­vent attendre de longues années avant de dire ce qui nous a bou­le­ver­sés néga­ti­ve­ment.

Voi­là ce que je sou­hai­tais dire de cette soi­rée du théâtre du Mer­lan qui a eu lieu chez Gene­viève Sorin, cho­ré­graphe dont je connais et admire le tra­vail (je ne sais si elle était pré­sente). Tout le monde est ensuite mon­té sur le tapis de danse avec ses chaus­sures. J’ai fini par faire de même, le tapis étant rapi­de­ment deve­nu très sale. Je suis reve­nue chez moi mes habits impré­gnés de fumée de ciga­rette, je ne sais com­ment puisque la consigne avait bien été don­née de ne pas fumer à l’intérieur.

Après avoir écrit ceci, en reco­piant le pro­gramme, je me rends compte que pour être aver­ti de ce qui allait se pas­ser vrai­ment, il fal­lait en fait lire SECRET SERVICE, l’autre pièce de Felix Ruckert, qui annonce la « cou­leur » de façon beau­coup plus fiable que celle de Love Zoo. Je la reco­pie en fin de mes­sage.

Bref, soi­rée éprou­vante, mais ô com­bien riche d’enseignement !

Andréine Bel

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LA PLAQUETTE D’ANNONCE des deux spec­tacles

Felix Ruckert sait bri­ser le « qua­trième mur du théâtre », celui qui sépare la scène de la salle. Sa danse s’écrit au plus près du corps du spec­ta­teur ; ses cho­ré­gra­phies sont autant d’expériences qui pro­posent au public une approche sen­sible du mou­ve­ment. Ses dan­seurs seront, si vous déci­dez de ten­ter cette aven­ture inté­rieure, les agents de confiance, les pas­seurs qui vous gui­de­ront vers des contrées émo­tion­nelles inat­ten­dues, intenses voire inouies.

Ce n’est pas la per­for­mance qui est ici recher­chée mais, au contraire, la sen­sa­tion, le plai­sir et ses varia­tions.

’’’Love Zoo’’’

Expé­rience par­ti­ci­pa­tive col­lec­tive

Dans le zoo de Felix Ruckert, ni gorille, ni bête féroce, mais l’animal le plus intel­li­gent, l’homme, libre d’aller et venir dans un espace réser­vé à l’expérience de son plus grand désir : l’amour. Sur le pla­teau, des chaises mar­quées d’un E. E comme Embar­que­ment pour l’expérience, E comme envie de par­ti­ci­per, E comme Enchan­té de vous connaître. Car, en vous asseyant sur une de ces chaises, vous pro­vo­que­rez néces­sai­re­ment la ren­contre. Celle avec un dan­seur, entre les mains duquel il s’agira, comme en amour, de vous aban­don­ner pour entrer dans le jeu de Love Zoo. Si vous ne vous sen­tez pas prêt à cette conni­vence, vous pour­rez sim­ple­ment choi­sir de regar­der, de contem­pler la nais­sance de cette com­mu­nau­té, avec ses rites et ses codes basés sur l’écoute et le res­pect. En atten­dant, peut-être, que l’envie monte : pen­dant la per­for­mance, tout chan­ge­ment de posi­tion des spec­ta­teurs est for­mel­le­ment auto­ri­sé !

EXPERIENCE RESERVEE AUX ADULTES ET ADOLESCENTS ACCOMPAGNES
DUREE 1H45
TARIFS : 15 euros, 8 euros, 3 euros

’’’Secret Ser­vice’’’

Expé­rience par­ti­ci­pa­tive indi­vi­duelle

Autant dire que l’on ne vous dira pas grand-chose. Si ce n’est que cette pièce, en deux niveaux, va for­cem­ment vous tou­cher ! Sachez-le, dans Secret Ser­vice, il n’y a pas de spec­ta­teurs, il n’y a que des acteurs.

’’Niveau 1’’

Tout com­mence par un tableu lumi­neux cou­tu­mier des admi­nis­tra­tions publiques. Le numé­ro que l’on vous a remis à votre arri­vée s’y affiche ? Bien­ve­nue dans le labo­ra­toire de la sen­si­bi­li­té ima­gi­né par Felix Ruckert et ses douze dan­seurs. Der­nière petite for­ma­li­té : se déchaus­ser et se lais­ser ban­der les yeux. L’expérience vous guide, un corps vous étreint. N’ayez pas peur, tout le monde peut dan­ser.

’’Niveau 2’’ : 2A pour les pru­dents, 2B pour les cou­ra­geux. Autant dire que ce niveau-là ne se mérite pas, il se désire… en toute connais­sance de cause. Car pour accé­der au niveau 2 (non obli­ga­toire), il faut avoir fait le niveau 1 et accep­ter cer­taines règles : c’est en sous-vête­ments et les yeux ban­dés que vous vivrez cette expé­rience. Une expé­rience qui prend, en appa­rence, le contre-pied du plai­sir en explo­rant la dou­leur et la sou­mis­sion et qui peut, à tout moment, être inter­rom­pue.

EXPERIENCE INTERDITE AUX MOINS DE 18 ANS
DUREE DE CHAQUE NIVEAU : 45 mn
TARIFS NIVEAU 1 : 15 euros 8 euros, 3 euros/NIVEAU 2 : 5 euros

PAS DE RESERVATION A L’AVANCE POUR LE NIVEAU 2 :
VOTRE DECISION NE PEUT ETRE PRISE QU’APRES L’EXPERIENCE DU NIVEAU 1

Article créé le 16/02/2020 – modi­fié le 24/02/2020

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