Ateliers Lambesc

L’indecision


Danse forum
Comptes-ren­dus des ate­liers
Lam­besc

!!L’indécision – 6 mai 2006

Je rap­pelle que je mets entre […] les pas­sages qui n’ont pas été for­mu­lés pen­dant l’atelier et qui me viennent à l’écriture.

Les idées ont fusé. Je retrans­cris de mémoire, donc beau­coup d’omissions et de confu­sions sont pos­sibles dans la chro­no­lo­gie des évé­ne­ments. A tous de rec­ti­fier et com­plé­ter, d’écrire ses propres déduc­tions.

Nous étions cinq. Besoin d’étirements. Nous avons lais­sé faire les éti­re­ments qui cor­res­pon­daient à la sen­sa­tion que nous avions de nos besoins : éti­re­ments pas­sifs, qui sol­li­citent des appuis, et éti­re­ments actifs, qui s’en passent.

A deux, ces éti­re­ments devaient se conju­guer. Nous avons obser­vé la part de men­tal dans le choix de tel ou tel éti­re­ment. Cela n’était pas facile à déter­mi­ner pour cer­tains. Pour les uns la part du men­tal était pré­do­mi­nante, pour les autres, ils ne la per­ce­vaient pas.

La dif­fé­rence est appa­rue entre la sen­sa­tion qui naît du mou­ve­ment, et le mou­ve­ment qui naît de la sen­sa­tion.

[Dans les deux cas, le va-et-vient entre mou­ve­ment et sen­sa­tion est conti­nu. Mais lorsque la sen­sa­tion naît du mou­ve­ment, c’est le mou­ve­ment qui dirige. Si le mou­ve­ment est volon­taire, déci­dé par le men­tal, le désir de faire ceci ou cela, de s’assouplir, se détendre etc., la sen­sa­tion est celle induite par le men­tal. On peut dire que c’est l’approche de la « danse » en géné­ral, celle qui se construit labo­rieu­se­ment à tra­vers une tech­nique apprise et une pro­jec­tion de ce que l’on sou­haite faire et être. Cette tech­nique induit des sen­sa­tions, qui sont incor­po­rées, for­mant un ter­reau tou­jours plus riche où d’autres appren­tis­sages seront pos­sibles dans une dyna­mique d’externalisation.

Lorsque le mou­ve­ment naît de la sen­sa­tion, il éclôt d’elle et de sa richesse. C’est la sen­sa­tion qui dirige, elle est immé­diate, spon­ta­née et invo­lon­taire, fruit de notre vie pas­sée, pré­sente et ave­nir. Le mou­ve­ment va se rap­pro­cher de cette spon­ta­néi­té. Il va nour­rir la sen­sa­tion dans une dyna­mique d’introspection. Le fait de ne pas pré­voir le mou­ve­ment devient un for­mi­dable atout de réap­pro­pria­tion de la danse qui nous habite, celle qui res­pecte le moindre fré­mis­se­ment qui nous met en mou­ve­ment. L’acceptation de ce que nous sommes et com­ment nous nous sen­tons devient un outil de créa­ti­vi­té à part entière.

L’expérience avec Léo lors de la semaine der­nière est très pro­bante à cet effet, je vous en ferai part. Les deux mou­ve­ments, d’instrospection et d’externalisation sont com­plé­men­taires et alternent sou­vent en danse forum, où se jouent l’interaction spon­ta­née. C’est la forme de danse que je trouve la plus équi­li­brée entre ces deux mou­ve­ments.]

Nous avons choi­si comme thème de danse forum l’indécision, qui va se déve­lop­per en deux mises-en-scène cho­ré­gra­phiques impro­vi­sées.

1- Nous sommes par­tis de l’expérience de l’une d’entre nous

Prise entre des choix faits par obli­ga­tion et son désir de faire des choix qui lui conviennent, elle se retrouve contam­ment dans l’indécision. Com­ment mettre en scène et cho­ré­gra­phier l’indécision ? La dan­seuse n’avait pas en tête de situa­tion pré­cise, c’est une mul­ti­tude de choix qu’elle a à faire chaque jours. Nous lui avons pro­po­sé qu’elle s’entoure des per­son­nages qui par­ti­cipent à son dilemne. Nous nous retrou­vons avec trois per­son­nages : l’indécision, la pres­sion et la dis­trac­tion.

- Le pre­mier essai est révé­la­teur. L’indécision com­mence en se lais­sant aller, en étant juste bien, sans rien faire de par­ti­cu­lier. La pres­sion en fait une proie facile et ne lui laisse aucun espace, à aucun moment. Son action se contente de l’empêcher de faire quoique se soit. La pres­sion n’a pas de but, elle est sim­ple­ment cas­tra­trice. La dis­trac­tion est relé­guée, ne peut atti­rer son atten­tion. L’indécision tourne le dos à la pres­sion, ne la regarde jamais en face, la subit la plu­part du temps. Elle essaie de s’en déga­ger, en vain, car elle est vite rejointe. Par­fois quand-même, à de courts moments, elle arrive à ouvrir des espaces de liber­té.

- Nous recom­men­çons, avec pour consigne à la pres­sion d’avoir un but. La dis­trac­tion va essayer d’être plus convain­cante.

La pres­sion accule l’indécision dans un coin, c’est son seul but. Une pres­sion constante devient du har­cè­le­ment. L’indécision est du coup obli­gée de réagir, s’enfuir, bou­ger, se débattre. Elle gagne en liber­té, de vic­time elle devient oppri­mée, c’est à dire arrive à loca­li­ser la pres­sion et à y réagir. Mais l’oppression est subie.

- Puis nous deman­dons à la pres­sion d’avoir un but plus éla­bo­ré, et de lais­ser, si elle le sent, des temps de répit à l’indécision (ce qui se passe en vrai).

La sauce ne prend pas, les choses vont dans tous les sens. Nous n’avons pas ana­ly­sé pour­quoi.

- Nous sau­tons sur la solu­tion qui nous vient : nous avons l’idée de faire che­mi­ner la pres­sion sur une ligne ima­gi­naire et médiane, de l’avant à l’arrière de la scène, et en deman­dant aux per­son­nages de se dépla­cer au sol. La sauce ne prend pas non plus. La ten­sion n’est pas là. Les regards s’ennuient. La direc­tion médiane don­née à la pres­sion la rendent peu visible (au contraire d’une direc­tion fron­tale, qui se serait dérou­lée de cour à jar­din par exemple, ou en biais). [Mettre une pres­sion exté­rieure sur la pres­sion l’annihile?].

- Nous repre­nons en deman­dant à la pres­sion d’avoir un but autre : qui influence.

Avant même que la pres­sion se soit exer­cée, l’indécision mani­feste ses besoins, sans agres­si­vi­té. Elle n’attend pas que la pres­sion lui laisse l’espace, elle le prend, c’est sa déci­sion. La pres­sion prend acte, ne se sent pas agres­sée, c’est plu­tôt mieux pour elle. La dis­trac­tion se fait modeste, arran­geante. Mais l’indécision est encore là.

- Un qua­trième per­son­nage va entrer, il a « la » solu­tion mais ne dévoile rien.

Il s’interpose entre la pres­sion et l’indécision, et « occupe » la pres­sion. L’indécision se retrouve seule et en est toute désta­bi­li­sée. Elle cherche la pres­sion, de sa propre ini­tia­tive. La pres­sion en est sur­pise, amu­sée et cherche à ruser. Elle fait mine de s’en aller, le qua­trième per­son­nage est bluf­fé, relàche son atten­tion et s’éloigne. La pres­sion revient alors en force, et colle lit­té­ra­le­ment à l’indécision, ne per­met­tant pas au qua­trième per­son­nage de s’interposer. Ce coup-ci, l’indécision éta­blit avec la pres­sion un rap­port d’égal à égal, et se met à dan­ser avec elle ! La pres­sion est apai­sée, dimi­nue et se prête au jeu, face à une déci­sion. Nous avons assi­té à la trans­mu­ta­tion de l’indécision en déci­sion.

Nous nous sommes deman­dés qui pou­vait être ce 4° per­son­nage : l’élément exté­rieur ? Il a désta­bi­li­sé la pres­sion, en don­nant l’espace à l’indécision pour pour rebon­dir, se trans­for­mer.

2- Cela rap­pelle à une autre dan­seuse son pro­blème actuel

Pro­blème de choix entre deux pays éloi­gnés qu’elle aime autant l’un que l’autre, même si c’est de façon dif­fé­rente, pour y vivre. N’ayant pas le don d’ubiquité, elle est obli­gée de choi­sir, et ce choix la déchire.

L’un fait la France, l’autre le Cana­da. Elle fait « le choix ».

- La France est très séduc­trice et atti­rante, le Cana­da est mater­nant, et se retire devant la séduc­tion exer­cée par la France. Le choix va d’abord vers la France, mais l’attraction exer­cée devient pres­sante, et le Cana­da devient de ce fait plus atti­rant. C’est lui qui est choi­si, mais le choix n’est pas vrai­ment exer­cé.

- Le 4° per­son­nage entre, sans dire sa solu­tion, il prend par la main le choix pour l’emmener dans une troi­sième direc­tion. Le choix n’en veut pas. Une troi­sième direc­tion sera de sa propre ini­tia­tive de choix ou ne sera pas, et cette direc­tion sera incon­nue. Pour l’instant, elle n’est pas d’actualité, d’autant plus qu’elle déjà été essayée dans le pas­sé et n’a rien don­né (ce que le 4° per­son­nage igno­rait). De nou­veau, le choix est d’abord atti­ré par ce qui bouge, puis se réfu­gie vers la matrice, le Cana­da.

- Nous rées­sayons. France et Cana­da vont se rap­pro­cher, dan­ser ensemble à un ins­tant. Le choix est de plus en plus dou­lou­reux, et va vou­loir les unir. Mais c’est maté­riel­le­ment impos­sible. Ils s’éloignent d’elle tous les deux, elle les perd.

- Une der­nière tentative/ quatre per­son­nages : la France, le Cana­da, le choix, la pres­sion (?) . France et Cana­da se rap­prochent, la pres­sion occu­pant le choix, puis retournent chez eux en ayant éta­bli un lien. Le choix se sent plus libre d’aller de l’un à l’autre, plu­sieurs fois. Il danse avec la France, tout son saoul, puis vient se lover dans le giron du Cana­da.

Nous nous quit­tons avec le sen­ti­ment qu’une foule de pistes n’ont pas été explo­rées en inter­ac­tion avec l’indécision : la peur, le sen­ti­ment de culpa­bi­li­té, entre autre.

[Consignes trans­ver­sales qui me sont apa­rues (à com­plé­ter, rela­ti­vi­ser et rec­ti­fier, ou reti­rer) :

- Le spec­ta­dan­seur qui a l’idée du scé­na­rio peut jouer son propre rôle s’il en sent le besoin. En théâtre forum, c’est une chose évi­tée, mais qui arrive aus­si.

- Le spec­ta­dan­seur peut avoir une idée et entrer sur scène sans être dans un per­son­nage pré­cis, le per­son­nage naît de son action. L’idée crée le per­son­nage, c’est ce qui s’est pas­sé dans cette impro, au niveau de la mise en scène, et au niveau de l’intervention du spec­ta­dan­seur.

- Le che­mi­ne­ment pour mettre en place la cho­ré­gra­phie et poser le pro­blème est aus­si inté­res­sant que le dénoue­ment… La mise en espace est un lan­gage à elle toute seule.]

Andréine Bel

Article créé le 16/02/2020

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