Ateliers Lambesc

Le jugement


Danse forum
Comptes-ren­dus des ate­liers
Lam­besc

!!Le juge­ment – 9 décembre 2006

Nous étions neuf.

L’approche de la sen­sa­tion la plus évi­dente pour cha­cun d’entre nous
com­mence à venir : les mou­ve­ments se décrouvrent peu à peu, perdent de
leur symé­trie volon­taire pour retrou­ver leur propre che­mi­ne­ment, inat­ten­du,
sur­pre­nant.

L’exercice qui devait nous faire décou­vrir les sen­sa­tions a été
pro­po­sé par A. : rap­pro­cher les deux bouts de la colonne ver­té­brale.
J. a rebon­di : cela lui fai­sait pen­ser à l’exercice de l’étoile de
mer, où l’on découvre des mou­ve­ments arché­ty­paux dont on a la mémoire
enfouie. Je ne suis pas sûre que nous y soyons « entrés ». Mais pour
la pre­mière fois, je sen­tais mes extrê­mi­tés comme des têtes
cher­cheuses, et elles étaient au nombre de cinq : les deux mains, les
deux pieds et la tête.

Se relier aux sen­sa­tions, cela évite le « m’as-tu vu » : regarde com­bien
je suis beau, souple, vif, intel­li­gent, com­bien j’ai pu assi­mi­ler la
tech­nique que j’ai apprise. Le spec­ta­teur se met à juger : oui, untel est beau, souple, vif,
intel­li­gent, sa tech­nique est remar­quable. Ou bien : untel veut nous
faire croire ceci (qu’il est beau, souple etc.), mais je vois cela :
il est moche, raide, amorphe, bête, sa tech­nique ne vaut rien.

Qu’il soit posi­tif ou néga­tif, un juge­ment empêche le plus sou­vent le
contact direct avec ce qui se passe. Le spec­ta­teur est en fait
impli­ci­te­ment invi­té par la per­sonne elle-même à juger ce qu’elle
pré­tend nous faire croire, et à éva­luer si elle y arrive ou pas.
Alors que si la per­sonne est dans ce qu’elle fait, on entre dans sa
sphère, on y est invi­té de par le regard qu’elle auto­rise
(puisqu’elle est en repré­sen­ta­tion), et on assiste au mou­ve­ment de la
vie, de son art, vu de l’intérieur. Quoi qu’elle fasse, quelque soit
son niveau tech­nique, cela fait sens avec les sen­sa­tions qu’elle
éveille en nous. L’évaluation peut alors se faire en toute quié­tude,
sans juge­ment, elle reste du domaine de l’échange, alors que le
juge­ment tranche, sépare.

Nous en étions là lorsque nous avons com­men­cé la danse forum, sur le thème du juge­ment, pour la deuxième fois.

J. a tenu le rôle du joker. M. a choi­si la musique. A. a tenu la came­ra.

Cette fois, la consigne a été claire : une per­sonne en avant-scène dos
au public (au départ), cinq autres face à elle en arrière scène, qui
avancent vers elle en la jugeant néga­ti­ve­ment. Trois spec­ta­teurs. Le
joker a redon­né la consigne qu’il s’agissait de danse et pas de
théâtre. Avec ma carte joker, je rap­pe­lais que la scène est un
espace pro­té­gé, où l’on peut jouer à être ignoble sans y lais­ser son
âme.

Mais une fois sur scène, il n’était pas ques­tion pour moi d’être un
juge ignoble. J’ai vou­lu trou­ver ce qu’il pou­vait y avoir de bon à
juger. Des sou­ve­nirs du quo­ti­dien sont remon­tés, où j’avais été
jugée et tou­chée à la fois, où le juge­ment m’avait sur le moment
ren­due fébrile mais ensuite m’avait don­né de la force, comme une
invi­ta­tion à me posi­tion­ner, à m’affirmer telle que j’étais, à me
révé­ler à moi-même. Et voi­ci que tout s’est retour­né : le juge­ment
deve­nait ce qui touche posi­ti­ve­ment, comme le miroir per­met­tant à
l’être d’oser être. Mozart reve­nait avec sa musique, et l’ombre du
com­man­deur, craint et révé­la­teur de son talent.

Face à tous ces regards qui avan­çaient vers elle, la per­sonne jugée,
assise au sol, yeux fer­més, n’en menait pas large. Puis elle s’est
ren­cen­trée et à com­men­cé à évo­luer dans l’espace, au milieu de ses
juges, accom­pa­gnée de la musique. Mes mou­ve­ments ont adop­té la
ver­ti­cale et l’horizontale, mes dépla­ce­ments se fai­saient selon les
lignes de force de la scène, le rythme était net, vif ou lent, jamais
mou ni hâché. La per­sonne jugée a per­çu cette dyna­mique et s’est
diri­gée vers elle par l’espace qui s’ouvrait. Les deux dyna­miques ont
fait que l’un se relève et l’autre aban­donne tout juge­ment, comme
deux êtres libres et soli­daires.

Nous avons tout repris depuis le début, avec une autre per­sonne,
face à ses juges, mais avec les yeux ouverts. Je pre­nais la came­ra,
M. choi­sit les musiques.

Très vite, la per­sonne jugée s’est rele­vée, se met­tant à notre
niveau, inter­agis­sant, dan­sant autour et par­mi ses juges sans se
sen­tir jugée. L’une d’entre nous a pen­sé qu’elle s’agitait pour fuir
le juge­ment, et a immo­bi­li­sé ses jambes un moment. Elle s’est
déga­gée. Puis elle a fer­mé les yeux, pour mieux sen­tir. La fra­gi­li­té
ain­si mon­trée, la prise de risque, la beau­té du visage receuilli
adou­cis­sait les juges. Lorsqu’elle a ouvert le regard, ils ont pu
reprendre ins­tan­ta­né­ment leur rôle. Elle s’est affir­mée, les deux
camps res­tant dans leur rôle tout en inter­agis­sant.

Une troi­sième ten­ta­tive, rapide, avec par­mi les juges, un qui pre­nait
à témoin les autres en mon­trant la per­sonne du doigt. L’action était
pré­vue à l’avance, et pas reliée aux sen­sa­tions, ce qui a un peu
para­ly­sé les inter­ac­tions. Mais c’est en explo­rant et en
expé­ri­men­tant que l’on apprend.

Bilan :

- Désir d’expérimenter ce qui n’a pas encore été essayé par chaque
par­ti­ci­pant : yeux fer­més ou yeux ouverts, voir ce que cela change.

- Sen­ti­ment d’une cer­taine usure pour deux par­ti­ci­pants qui avaient
déjà explo­ré (au der­nier ate­lier) le thème du juge­ment. Envie
d’explorer un autre thème (peux-tu rap­pe­ler lequel ?)

- Nous avons oublié de deman­der au joker com­ment il s’était sen­ti dans ce rôle.

- Nous n’avons pas non plus par­lé de la per­ti­nence ou non de
l’exercice pro­po­sé pour éveiller les sen­sa­tions. Il cor­res­pon­dait au
besoin de la per­sonne qui l’a pro­po­sé, a rap­pe­lé à une deuxième
per­sonne un exer­cice qu’elle avait déjà fait et aimé faire, mais j’ai
le sen­ti­ment qu’il ne cor­res­pon­dait pas for­cem­ment au besoin des
autres par­ti­ci­pants.

Le choix de l’exercice pro­po­sé pour éveiller les sen­sa­tions, dans la
deuxième par­tie de la mise en route, est en effet déli­cat. Il
demande une vue d’ensemble de ce qui se passe pour tous les
par­ti­ci­pants. Il faut cibler ce qui est com­mun comme besoin, car la
danse forum va être influen­cée par ce qui se des­sine pen­dant la mise
en route. Ce qui confirme pour moi mon impres­sion, c’est que
l’exercice pro­po­sé n’a pas résur­gi sous une forme ou sous une autre,
sous un pré­texte ou un autrre, pen­dant la danse forum (alors que
d’habitude, oui).

- D’une façon géné­rale, je pense que nous n’utilisons pas assez les
vidéos pour un regard cri­tique (et non jugeant). Pour cela, il
fau­drait arrê­ter à tel ou tel endroit indi­qué par celui qui a envie
de com­men­ter ce qu’il voit. En dis­po­sant du même temps, il y a
pro­ba­ble­ment un com­pro­mis à faire pour per­mettre les deux façons,
tan­tôt l’une, tan­tôt l’autre : celle où l’on reçoit les images, celle
où on les ana­lyse en les regar­dant de nou­veau, ou en s’arrêtant sur
l’une d’elles.

Andréine Bel

d’après les retours de : Alexandre D, André, Andréine B, Dunia M, Elise B, Johan­na B, Leo­nar­do C, Ken M, Mou­rad A.

Article créé le 16/02/2020

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