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Le corps sans organes et le volume


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!!Le Corps sans organes et le volume – 12 avril 2010, stu­dio For­bin, en pré­pa­ra­tion du fes­ti­val de For­cal­quier

Nous étions neuf ce dimanche au stu­dio For­bin, autour du Corps sans organes.

Y a‑t-il un lien entre le Corps sans organes et l’esthétique des minia­tures indiennes Cham­pa et Kan­gra, les deux prin­ci­pales écoles clas­siques du 2° siècle de notre ère ?

Ces pein­tures décrivent les amours de Kri­sh­na et son don d’ubiquité : il pou­vait se trou­ver au même moment avec cha­cune de ses amantes, les âmes. On y voit Radha tra­ver­sant la nuit la forêt pour rejoindre Kri­sh­na dis­si­mu­lé dans un buis­son, des ser­pents sinueux dans un ciel ombra­gé, des lotus riva­li­sant de beau­té avec les corps nus dans la rivière Jamu­na, des palais entou­rés d’arbres réson­nant du chant des oiseaux amou­reux… Lorsque la sty­li­sa­tion est assu­mée à ce point, lorsque la saveur (le rasa) de l’œuvre donne un pay­sage aux sen­sa­tions pour pro­duire l’émotion, les organes (la repré­sen­ta­tion, l’illustration) sont-ils encore acces­sibles au regard ?

Nous avons véri­fié avec la pein­ture de Fran­cis Bacon : lorsque le Corps sans organes est à l’œuvre, les sen­sa­tions du corps sont peintes en direct, dans leur imma­nence, la Figure rem­pla­çant la figu­ra­tion dans le regard du spec­ta­teur.

Les écoles de Cham­pa et de Kan­gra pein­draient-elle les sen­sa­tions de l’âme (la cor­po­réi­té de l’âme) avec les codes cultu­rels de l’Inde médié­vale, et dans leur trans­cen­dance ?

A prio­ri, rien ne serait plus oppo­sé que ces deux pein­tures, Radha – Kri­sh­na et les corps de Bacon. Pour­tant, j’y vois un lien sous-jacent : la saveur, et l’impossibilité de sou­te­nir le regard face à ces œuvres, de par l’intensité qu’elles dégagent. Un lien entre les corps débor­dants de Bacon, et ce Kri­sh­na qui n’en finit pas de se dédou­bler, entre la géo­mé­trie nette et irréa­liste des tableaux et celle des minia­tures qui fait entrer dans une petite boîte une scène entière.

Est-ce cette immer­sion dans la pein­ture ? Le « volume » s’est impo­sé à l’issue de l’éveil des muscles et/ou sen­sa­tions. Essayer de retrou­ver son propre volume, cela en vaut la peine.

Le volume s’est mis à créer plu­sieurs espaces : le dedans et le dehors, la scène et le hors-scène, et ce qu’il y a entre. La plas­ti­ci­té du volume en nous s’est mise en action : les bras qui gonflent, les mains immenses, le cylindre mobile du buste. Plus grave : le corps qui coule, s’étale au sol comme de la géla­tine, se tord sans rai­son appa­rente, s’enfuit sous le tapis, les cou­leurs et volumes qui se dis­tendent, implosent…

La fra­gi­li­té du volume m’a sub­mer­gée, ce volume qui peut être enta­mé, acci­den­té, ampu­té, ren­du pous­sière.

Assez vite, tout est deve­nu volume pour nous : le tapis de danse, la porte et la pein­ture sur la porte. L’ombre, dont on ne sait tou­jours pas si elle a une épais­seur (depuis « le Corps sans organes et l’inachevé », il me semble), a‑t-elle un volume ?

Mis dans l’espace scé­nique, le volume par­ta­gé est entré en scène : un volume avec d’autres volumes qui évo­luent dans un même volume. Être dans son centre à soi, tout en par­ta­geant un même centre – celui de la scène avec tout le monde – n’est pas évident.

Puisque les pieds n’offraient pas une sur­face de sus­ten­ta­tion suf­fi­sante, au sol nous nous sommes répan­dus en para­mé­cies, ecto­plasmes qui s’entrechoquaient sans se cho­quer. Le big-bang a même été envi­sa­gé, le volume col­lec­tif face au volume indi­vi­duel, le visage de Kri­sh­na qui nous sur­veillait, nos oreilles qui pre­naient le relais des yeux, bref tout cela était en lien avec la créa­tion, de façon évi­dente et imma­nente.

En pre­nant du relief, la vie n’est plus faite de sur­faces, elle prend du volume.

Le sou­ve­nir du pre­mier « non » se situe au niveau de la rate, avec une ten­sion dou­lou­reuse. L’ami dis­pa­ru, la pho­to ancienne où il côtoie des per­sonnes au visage jau­ni pour­tant encore de ce monde, le volume creux, vide, qui se rem­plit peu à peu puis s’anime, tout cela a été vécu. Ain­si, plu­sieurs volumes simul­ta­nés sont appa­rus : le phy­sique, l’émotionnel, le men­tal, le spi­ri­tuel et nous en avons oublié, c’est sûr…

Andréine Bel,

d’après les retours de : Andréine B, Ber­nard B, Johan­na B, Del­phine O, Jacques H, Marit­za S, Minh N, Nadine G, Véro­nique B.

PS : Pour une pre­mière approche des rasas, on peut lire :
http://​www​.armel​le​cho​quard​.fr/​d​h​v​a​n​i​/​r​a​s​a​.​h​tml
http://​ehess​.phi​lo​so​phin​dia​.fr/​i​n​d​e​/​t​h​e​a​t​r​a​l​i​t​e​/​l​e​-​t​h​e​a​t​r​e​-​e​t​-​l​a​-​d​a​n​s​e​/​l​e​-​m​o​t​-​r​a​s​a​.​h​tml

Article créé le 16/02/2020

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