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Le corps sans organes et le corps


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!!Le Corps sans organes et le corps – 4/4/10, stu­dio For­bin, en pré­pa­ra­tion du fes­ti­val de For­cal­quier

Ce dimanche 4 avril 2010 au stu­dio For­bin, nous étions cinq, à nous pen­cher sur le Corps sans organes. Le sous-thème qui nous est venu à l’issue de « l’éveil des muscles » a été : le corps. Qu’est-ce que le Corps sans organes fait au corps (celui sen­sible et celui repré­sen­té) ?

Nous avons mis en regard le texte de Ralu­ca Arse­nie Zam­fir sur le Corps sans organes, cité lors de la DF pré­cé­dente :

http://​www​.euro​phi​lo​so​phie​.eu/​r​e​c​h​e​r​c​h​e​/​I​M​G​/​p​d​f​/​Z​a​m​f​i​r​.​pdf

avec ce livre : « Fran­cis Bacon, Logique de la sen­sa­tion » de Gilles Deleuze, au cha­pitre : pein­ture et sen­sa­tions, p.39 à 46.

« Il y a deux manières de dépas­ser la figu­ra­tion (c’est-à-dire à la fois l’illustratif et le nar­ra­tif) : ou bien vers la forme abs­traite, ou bien vers la Figure. Cette voie de la Figure, Cézanne lui donne un nom simple : la sen­sa­tion. La Figure, c’est la forme sen­sible rap­por­tée à la sen­sa­tion, elle agit immé­dia­te­ment sur le sys­tème ner­veux, qui est de la chair. Tan­dis que la forme abs­traite s’adresse au cer­veau, plus proche de l’os. Certes, Cézanne n’a pas inven­té la voie de la sen­sa­tion dans la pein­ture. Mais il lui a don­né un sta­tut sans pré­cé­dent. La sen­sa­tion, c’est le contraire du facile et du tout fait, du cli­ché mais aus­si du« sen­sa­tion­nel », du spon­ta­né etc. La sen­sa­tion a une face tour­née vers le sujet (le sys­tème ner­veux, le mou­ve­ment vital, « l’instinct », le « tem­pé­ra­ment », tout un voca­bu­laire com­mun au Natu­ra­lisme et à Cézanne), et une face tour­née vers l’objet (« le fait », le lieu, l’événement). Ou plu­tôt, elle n’a pas de faces du tout, elle est les deux choses indis­so­lu­ble­ment, elle est être-au-monde : à la fois je « deviens » dans la sen­sa­tion, et quelque chose « arrive » par la sen­sa­tion, l’un par l’autre, l’un dans l’autre. 

[…]

Néga­ti­ve­ment, Bacon dit que la forme rap­por­tée à la sen­sa­tion (Figure), c’est le contraire de la forme rap­por­tée à l’objet qu’elle est cen­sée repré­sen­ter (figu­ra­tion). Sui­vant un mot de Valé­ry, la sen­sa­tion, c’est ce qui se trans­met direc­te­ment, en évi­tant le détour ou l’ennui de l’histoire à racon­ter.

Et posi­ti­ve­ment, Bacon ne cesse pas de dire que la sen­sa­tion, c’est ce qui passe d’un « ordre » à un autre, d’un « niveau » à un autre, d’un « domaine » à un autre. C’est pour­quoi la sen­sa­tion est maî­tresse de défor­ma­tions, agent de défor­ma­tions du corps. »

Remarques sur l’éveil des muscles :

- je fai­sais les mou­ve­ments de façon incons­ciente

- cou­leurs, volumes, dis­tances proches me sont appa­rues plus sûres

- plas­ti­ci­té de ma per­cep­tion

- la connais­sance d’habitude fait appel à l’abstrait, au lan­gage. Ici, le res­sen­ti et le vécu sont une connais­sance sous d’autres formes : celles des rela­tions.

Puis cette ques­tion : qu’est que l’existence ? Avec les sen­sa­tions, on fait varier les para­mètres de l’existence, c’est sub­ver­sif. Le conven­tion­nel et les habi­tudes sont revus, les buts se trans­forment en pivots pos­sibles.

Et cette autre ques­tion : est-ce qu’on existe parce qu’on est vu ? Que se passe-t-il lorsqu’on ne peut pas voir les yeux de l’autre nous regar­dant ?

Lors de la pre­mière impro­vi­sa­tion « sen­sible », nous nous sommes ren­dus compte qu’il y a deux manières au moins de fer­mer les yeux : celle mise en œuvre pour s’isoler, et celle pour se relier à soi et aux autres, avec une conta­mi­na­tion du bien-être, une déli­ca­tesse entre les corps. Dans « l’espace sans organes », ne pas regar­der est une vision moins mas­sive. Nous avons ima­gi­né qu’il y avait aus­si « un temps sans organes », « une scène sans organes »… Peut-on étendre le concept à tout ?

Au fil des impro­vi­sa­tions, le dis­cer­ne­ment s’est fait moins pré­cis entre ima­gi­na­tion, repré­sen­ta­tion et sen­sa­tion, comme un besoin de « lais­ser cou­ler » vers la sen­sa­tion, plu­tôt qu’une recherche. Se lais­ser agir, se lais­ser réagir, aimer.

- Après coup, c’est quoi la Figure de mon par­cours ? Malaise de ne pas avoir maî­tri­sé la réponse.

Yeux fer­més, entre inté­rieur et exté­rieur, nous avons décou­vert une com­pli­ci­té avec les autres corps, non par mémoire, mais par syn­chro­ni­ci­té et élar­gis­se­ment du contact.

Il nous est arri­vé de perdre et retrou­ver la sen­sa­tion en quelques secondes, avoir un « blanc » dans la sen­sa­tion, non pas comme une faille, mais comme expres­sion en elle-même.

Tou­cher de près ou de loin, c’est égal, le contact est enri­chi, un lais­ser pas­ser, lais­ser l’émotion se pro­duire plu­tôt que de racon­ter une his­toire. Nous étions en non-repré­sen­ta­tion, avec cette ques­tion : est-ce que ma sen­sa­tion inté­rieure peut arri­ver à une Figure ?

Le Corps sans organes a dépla­cé notre regard, avec exi­gence, sur un « logi­ciel » qui n’est pas celui des muscles, des organes et des formes, qui est celui de l’âme, dirait Jean-Marie Delas­sus. Nous avons pour l’instant eu besoin de ralen­tir les mou­ve­ments, dans ces moments pri­vi­lé­giés, avec un sen­ti­ment ver­ti­gi­neux, comme sur un sol liquide, ou en ape­san­teur : la len­teur fait perdre du contrôle, en pri­vi­lé­giant la sen­sa­tion. Rien n’empêche d’espérer que la rapi­di­té fasse de même, ce sera pour bien­tôt !

Andréine Bel,

d’après les retours de : Andréine B, Del­phine O, Minh N‑G, Nadine G, Phi­lippe A

Article créé le 16/02/2020

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