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!!L’asymétrie – 19 mai 2007
Mon compte-rendu reprend quelques questions de Nadine, sur la liste ladanseforum.
Après une première improvisation à partir de nos sensations du
moment, ont émergé : étirement, asymétrie, douceur, involontaire.
Nous avons opté pour l’assymétrie comme thème de la journée. Les
autres thèmes sont revenus en filigrane au thème principal.
Dans asymétrie, nous avons dégagé oralement la notion d’espace
(déplacements, positions, segments du corps concernés), de temps
(vitesse, rythmes) et de poids (dynamiques, forces, tendu ici,
relâché là).
La symétrie nous a semblé plus reliée à ce qui est statique,
équilibré : elle s’exerce autour d’un point, d’un axe, à force égale,
en miroir ou en croisé. La répétition peut mettre de la symétrie.
Puis nous avons affiné l’analyse.
L’équilibre nous a paru possible dans l’asymétrie, il est instable,
il suit un fil comme le funambule, par un système de compensation.
La notion de point central autour duquel s’exerce la symétrie a été
abordée dès la deuxième improvisation. Les sensations de distance et
de symétrie par rapport à ce point ont fait écho à l’émotionnel.
La question nous est venue de comment être fidèle à soi, dans sa
sensation, tout en étant « avec » l’autre. La rencontre est à ce prix.
Le problème s’est aussi posé de comment suivre une consigne et en
même temps sa sensation intérieure. Les deux ne nous ont pas paru
incompatibles et nous l’avons d’ailleurs souvent expérimenté dans
d’autres danse forum.
Deux symétries peuvent se rejoindre sur un cheminement, besoin de
connection, transfert. C’est comme cela que nous est venue l’idée du
symbole en général et du totem en particulier : incarner la symétrie
symboliquement et ses différents points de gravité.
Nous avons concrétisé le centre de la pièce par un jumbé silencieux.
La sensation ambigüe est venue simultanément à la totémisation du
centre : sécurité, confort, sentiment d’appartenance, vénération et
esprit grégaire ont vite rendu l’atmosphère irrespirable. Pour le
coup, les côtés négatifs du totem l’ont largement emporté sur les
positifs.
Nous avons donc remplacé le totem par une personne physique, entourée
d’autres personnes du sexe opposé. Comme nous ne voulions pas tomber
dans la vénération au chef, il a été décidé ensemble que la personne
au centre devait rester la plus neutre possible. Et là,
l’extraordinaire complexité des rapports humains a repris sa place :
l’esprit grégaire s’est dissout comme neige au soleil pour faire
éclore les personnalités individuelles, les egos ont repris leur
place. (Entre deux maux, je choisis sans hésitation le second !)
Cela a donné lieu a de beaux morceaux de bravoure, où selon moi
pudeur et malice se sont côtoyées avec bonheur, portant en fin de
danse la sensualité comme une couronne.
Notre joker nous a alors remis sur les rails de la problématisation,
nécessaire au forum.
Nous l’avions toute prête, « notre » problématisation, par rapport à
notre expérience désagréable de la totémisation : « comment rendre
respirable l’irrespirable ? »
Pour l’avoir vécu, c’est loin d’être évident. Déplacer le totem ? Il
est immédiatement replacé, ou remplacé. Faire diversion ? L’attention
se polarise un peu plus. Faire intrusion ? Les liens se resserrent et
se renforcent. Dépolariser ? C’est ce que j’ai fait en donnant
physiquement du souffle et en laissant sortir un cri perçant, qui a
calmé les uns et perturbé les autres. Le « remède » était efficace
mais nous n’avons pas poursuivi pour évaluer les résultats en temps
réel.
Ceci pour dire que nous avons été guéris encore un peu plus, si cela
était nécessaire, de la tentation de révérence au « centre », à la
confiance aveugle, à l’autoritarisme et au sectarisme. Acte de
salubrité publique, donc.
Sur le fond :
- « Chercher le mot qui dit la sensation » : je pense que Nadine met ici
le doigt sur une difficulté qu’ont beaucoup de participants. C’est en
effet un peu comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Il
faut laisser le mot émerger, s’imposer, faire sens en nous (même s’il
n’a pas de sens précis) et nous travailler. Ainsi il a une chance de
devenir créatif.
- Pendant la mise en route pour laisser émerger le thème, mettre
physiquement en pratique les concepts autour de l’asymétrie nous
aurait évité d’aller trop vite vers la « psychologisation » du centre,
telle qu’elle est survenue très tôt dans notre approche. La
psychologisation n’est pas un problème en soi, sauf si elle devient
omniprésente. La danse s’en accommode moins que le théâtre, je l’ai
vraiment compris lors de cette journée !
- J’ai eu l’immédiate sensation que nous exercions un certain
masochisme à chercher d’emblée la problématisation dans la souffrance
que nous venions d’éprouver. Cette souffrance était saine, et ne
posait pas problème en elle-même. C’est ne pas souffrir et trouver
l’atmosphère parfaitement respirable qui aurait pu éventuellement
poser problème !
En fait, nous avons mis en scène un problème que nous savons
récurrent dans la société au fil des âges, mais pour lequel,
individuellement, nous avions déjà, dans nos vies, pris position
assez clairement. On peut se dire que ce problème peut toujours être
remis sur le métier, que personne n’est à l’abri de l’esprit sectaire
et servile, rien n’est jamais acquis dans ce domaine, et l’Histoire
le prouve chaque jour. Il n’empêche que ce thème est venu d’une
réflexion autour de l’anthroplogie, réflexion qui avait sa pertinence
en tant que retour sur la danse forum en général, mais pas comme
source du thème choisi en particulier. En autres mots, ce thème s’est
imposé à nous par le biais de la réflexion intellectuelle, mais pas
par le vécu de nos sensations.
Augusto Boal met souvent en garde contre le fait de choisir une
problématisation dans l’Histoire, c’est à dire dans l’historique
global et passé des peuples, plutôt que dans l’histoire présente et
vécue des participants, même si les deux sont forcemment liés d’une
manière ou d’une autre. Il nous faut être plus vigilants face à cela.
Guillaume a proposé une solution pour éviter ce piège : placer les
retours et débats théoriques après la danse forum, en bilan, après
avoir expérimenté. Je pense que c’est une proposition que nous
pourrions adopter, et qui est commune avec le théâtre forum.
Expérimentation et réflexion de fond sont toutes deux utiles, il faut
juste qu’elles viennent en temps propice. A voir ensemble.
- La requête de Nadine de revoir plusieurs fois une video me rappelle
cet exercice d’un prof d’université qui faisait découvrir à ses
étudiants le langage gestuel. Il leur a montré une scène anodine
d’une dizaine de minutes où l’on voit une étale avec les gens autour
qui font leur marché. Je n’ai plus les détails de cette
expérimentation, j’écris ce que j’en ai retenu. Après chaque
projection, le prof demandait à ses élèves ce qui se passait. Les
premières fois, personne ne voyait rien de spécial : un homme en train
d’acheter des légumes, et d’autres personnes autour qui attendaient
leur tour. Mais à force de revoir ces moments insignifiants, les
détails sont aparus. D’abord de façon séparée, puis devenant
pertinents ensemble, puis donnant un sens. Les rapports entre les
gens, leurs centres d’intérêt, leur conditions sociales,
psychologiques sont devenues lisibles, interprétables. Des histoires
se formaient. Les étudiants pouvaient en retirer une connaissance
des rapports humains d’une richesse inimaginable au départ.
Bien sûr, pour que l’expérience fusse complète, il aurait fallu que
les acteurs involontaires de ce film fussent présents et réagissent à
la lecture qui s’élaborait de leurs attitudes et comportements.
Mais cela a au moins le mérite de démontrer que la re-vision multiple
d’une même scène nous fait percevoir chaque fois d’autres éléments,
d’autres points de vue, et que ce qui paraît insignifiant à première
vue peut devenir d’une richesse infinie pour l’observateur.
Je suis donc partante pour isoler un court extrait et le revoir
autant de fois que nécessaire ! Ou de plus larges extraits, ou le tout
deux ou trois fois. A voir ensemble, et à doser…
- Je reviens à la question de Nadine : « Se donner une contrainte
avant l’improvisation, ne serait-ce pas la spécificité de la
danse-forum par rapport à la « danse du moment décisif » ?
La notion de « moment décisif » inclut toutes les contraintes : celles
que l’on a de façon inévitable (caractéristiques corporelles,
structure du lieu de danse par exemple), et celles que l’on s’impose
ou pas. Le geste du moment décisif est en quelque sorte la résultante
créative de toutes les données, personnelles et environnementales.
Dans l’infini des possibles – puisqu’on se donne cette ouverture en
ne pensant pas le geste avant de l’accomplir – un seul geste va
s’actualiser à chaque instant. La liberté et la créativité ont cette
spécificité de transformer les contraintes, et d’en faire quelque
chose.
Problématiser en amont de l’expérience, c’est à dire en amont du
développement du thème choisi avec ses contraintes, cela revient en
fait à créer un problème où il n’y en a pas, puisqu’il n’a pas été
expérimenté. Nous avons eu très souvent cette sensation et c’est
devenu peu à peu un vrai casse-tête. Il faut dire que nous avons la
tête dure… C’est peut-être tant mieux !
Andréine Bel
d’après les retours de : Alexandre D, Andréine B, Aurore C, Johann G, Laurent B, Leonardo C, Marie-France M, Nadine G, Nicolas R.
Article créé le 16/02/2020